30.6.06

MOTEL RIO

Article paru dans l'édition juillet 2006 du magazine Corps et Âme



Peu importe l’orientation ou les préférences sexuelles, les Cariocas, habitants de Rio de Janeiro, partagent un intérêt particulier pour les motels.

Avant de s’étendre sur un lit vibro-masseur et sous un miroir de plafond, il faut d’abord rencontrer l’homme ou la femme idéale.

Les Cariocas profitent de chaque occasion pour faire de nouvelles connaissances. Ils évitent autant que possible les moments de solitude. Les lieux de rencontre sont nombreux : sur la plage, dans les partys ou boîtes de nuit, à l’université, après les répétitions des écoles de samba…

Depuis trois ou quatre ans, les Cariocas se passionnent pour les rencontres virtuelles. Les communautés Orkut, créées par le géant Google, sont très populaires chez les moins de 35 ans. Une visite dans un café Internet suffit pour constater l’ampleur du phénomène.

Dans les favelas, quartiers pauvres où vivent un des cinq millions de Cariocas, les spectacles de musique funk (hip-hop façon Rio) attirent des milliers de jeunes chaque fin de semaine. Le caractère sexuel des paroles est très explicite. Les chansons ont pour thème des pratiques comme le 69 et la sodomie. Pour parler des femmes, on emploie le terme cachorra (chienne). La manière de danser comporte beaucoup de points communs avec les techniques de striptease.

Une des principales représentantes du funk est la chanteuse Tati Quebra-Barraco (25 ans, 3 enfants, le premier à 13 ans). En réponse à la question « Le sexe est-il fondamental dans votre musique ? », elle déclarait à la revue Playboy : « Je parle de ce que je veux. Celui qui ne veut pas entendre peut se boucher les oreilles. Quelle femme ne suce pas de queue ? »

Est-ce que le Brésil est vraiment le pays le plus catholique du monde ? La pratique religieuse est forte, mais il n’y a pas cette rigidité associée au culte catholique. D’après une enquête nationale, la majorité des Brésiliens ont des relations avant le mariage, considèrent que la masturbation est quelque chose de sain et que le plaisir est la principale fonction du sexe.

La sexualité dynamise tous les aspects de la vie sociale et les motels sont en quelque sorte le symbole de cette vitalité.

À Rio de Janeiro et dans le reste du pays, aller au motel signifie à coup sûr aller baiser. Ces établissements n’ont pas de tarif pour une période de 24 heures : ils offrent des blocs de 3, 6 ou 12 heures. En général, les motels sont situés en périphérie de la ville, près des boulevards et autoroutes. Pour augmenter le charme exotique de leurs établissements, les propriétaires font appel aux langues française et anglaise : L’Amour, Wet Dreams, Confidence, Love Time…

L’endroit est idéal pour réaliser des fantasmes qui vont au-delà des plus courants (faire l’amour dans un lieu public ou avec plus d’un partenaire). Parfait aussi pour essayer des positions sexuelles différentes de la traditionnelle papai e mamãe, qui correspond à la position du missionnaire.

Selon Mariane, une avocate de 31 ans, la popularité des motels est due à un facteur particulier : « Même après avoir terminé leurs études et trouvé un travail, les Brésiliens doivent souvent rester chez leurs parents parce qu’ils ne gagnent pas assez pour vivre seul ou en couple. Ils préfèrent économiser pour acheter leur propre maison ou appartement. Le manque d’intimité incite les jeunes à se réfugier dans les motels. » Ce sont parfois aussi les parents qui ont besoin de sortir de la maison.

Autant la chambre peut être un lieu minable, fréquenté surtout par les prostituées, autant elle peut offrir de quoi cultiver divers fantasmes. Les meilleurs établissements offrent des chambres à thèmes. Celles-ci recréent un univers western, japonais, sadomaso, égyptien ou hollywoodien. À l’intérieur, les accessoires sont variés : de la chaise érotique, qui permet toutes sortes de positions, à la table de billard, en passant par la piste de danse pour striptease, le bain tourbillon et les arômes aphrodisiaques. Pour les clients plus conventionnels, certaines chambres sont équipées de télévision à écran géant. La boutique érotique se trouve près de l’entrée. La gamme de prix est très étendue : de 20 reais à 400 reais (10 à 200 dollars canadiens) pour 12 heures.

Le motel est parfois un lieu de rendez-vous pour fêter l’anniversaire d’un ami. Un DJ s’occupe de l’ambiance musicale, des boissons aphrodisiaques sont disponibles et les invités partagent un gâteau de fête en forme de lit avec un couple nu.

Il existe même une communauté Orkut pour venir en aide à ceux qui n’ont pas d’auto : « Je vais au motel à pied. » Parmi les conseils de base, on recommande de ne pas se rendre au motel en taxi. Il vaut mieux investir son argent dans une meilleure suite.

Durant l’été brésilien, de décembre à la fin février, le taux d’occupation des motels frôle toujours la capacité maximale. De même, la consommation de repas, de boissons alcoolisées et de produits érotiques y est très élevée.

L’été est la saison du sexe. Cette idée populaire est confirmée par des spécialistes comme le sexologue Arnaldo Risman : « Il est clair que les Cariocas sont plus actifs sexuellement durant cette saison. Les hommes et les femmes se préparent toute l’année pour montrer leur corps pendant cette période. L’été fait naître cette magie de pouvoir transformer notre propre quotidien, et ça stimule l’imagination sexuelle. C’est un temps de beauté pure. »

Les 37 plages de Rio, en bordure de la baie de Guanabara ou de l’océan Atlantique, sont l’endroit idéal où exhiber les résultats d’un entraînement physique intensif. On peut constater que les hommes accordent une grande importance à la musculation.

Les Brésiliennes sont davantage préoccupées par l’apparence de leurs fesses que par la grosseur de leurs seins. Elles n’hésitent pas à recourir à des traitements esthétiques comme l’électro-stimulation : le choc provoque une contraction du muscle fessier qui tonifie le bumbum. En complément à cette méthode, les massages permettent d’améliorer la circulation sanguine.

Une caractéristique de l’été enchante les gérants de motels : les clients se présentent en grand nombre sur l’heure du dîner, entre 11 et 14 heures. Dans les quelques motels situés près de la plage, les clients arrivent au comptoir en costume de bain. Les aventures amoureuses sont plus fréquentes durant la journée.

Ce plaisir estival n’est pas un privilège exclusif aux Cariocas. Une partie du succès des motels s’explique par la présence massive de touristes européens, canadiens ou américains. Les gringos découvrent à la fois la sensualité brésilienne et une institution nationale.

20.6.06

QUATRE ANS ET 180 MINUTES PLUS TARD

Vendredi 16 juin. Plusieurs dizaines d’habitants du Bengladesh ont envahi et détruit les bureaux d’une compagnie d’électricité. Rien n’a échappé à leur furie : chaises, meubles et dossiers ont alimenté l’incendie. Une panne de courant les a empêchés d’assister à la victoire de 6 à 0 de l’Argentine sur la Serbie et Monténégro.

Au même moment, de Buenos Aires à la Terre de Feu, les Argentins ont célébré leur qualification en vue de la phase suivante. À San Rafael, où je me trouvais, los hinchas (partisans) se sont réunis en plein milieu de la principale intersection. Pour manifester leur joie autrement qu’en chantant les hymnes nationaux, les Argentins utilisent les mêmes trompettes de plastique qui se vendent au Carnaval de Québec, celles-là qui donnent encore plus mal à la tête qu’un 13 onces de Caribou.

La fête avait des proportions modestes : San Rafael est une petite ville tranquille, à 220 kilomètres de Mendoza, reconnue pour ses vignobles, ses fruits (pêches, prunes et pommes) et ses champs d’oliviers. Rien de comparable aux débordements qui se produisent à Rio de Janeiro après les victoires de la Seleção.

Pour le peuple argentin, cette victoire et la précédente contre la Côte d’Ivoire ont un effet comparable à celui d’une pilule bleue sur une prostate quinquagénaire. Les dernières 180 minutes de jeu peuvent être considérées comme une thérapie brève intensive d’orientation behaviorale et cathartique.

En 2002, les Argentins avaient offert un rendement très binaire : 1-0, 0-1, 1-1 : victoire sur le Nigeria, défaite contre l’Angleterre et match nul face aux Suédois. L’équipe ne s’était pas qualifiée pour les huitièmes de finale. Un des favoris quittait le Japon 20 jours avant la victoire du Brésil.

Pour cette raison, personne ne se montrait très optimiste avant le début du Mondial. De manière générale, l’orgueil national est rendu fragile. Comment fait un Argentin pour se suicider ? Il grimpe sur son ego et se jette en bas. La vieille blague s’applique moins aujourd’hui. Depuis la débâcle économique de 2000-01, il faudrait plutôt répondre qu’il grimpe sur un billet de 20 pesos et dégringole avec lui.

En majorité, les médias argentins croient maintenant que leur pays se rendra à Berlin pour faire plus que prendre la connexion jusqu’à Buenos Aires. Les deux victoires du Brésil n’ont pas impressionné les experts et gérants d’estrade de l’Argentine. On ne manque pas une occasion de souligner les défauts techniques, le manque de cohésion et d’essayer de deviner le poids exact de Ronaldo (« un secret absolu », soutient le médecin brésilien José Luiz Runco). Même les journaux du Brésil aimeraient que Ronaldo et Cie jouent avec une ardeur comparable à celle de leurs rivaux continentaux.

Si l’Argentine remporte la Coupe du Monde, j’espère que l’équipe pensera à envoyer un don au Bengladesh. Dans le pays le plus pauvre du monde, qui survit grâce à l’aide internationale, reconstruire un édifice peut prendre plusieurs années.

14.6.06

VAMOS ARGENTINA !!

Le Mondial est une excellente occasion de rappeler au monde entier qu’un Argentin est un Italien qui parle espagnol (et qui se prend pour un Anglais). Quelques joueurs de l’équipe nationale : Abbondanzieri, Coloccini, Scaloni, Burdisso, Mascherano, Cambiasso…

Je vais me mettre dans la peau d’un météorologue spécialisé en 50% de précipitations et exposer les raisons pour lesquelles l’Argentine va gagner la Coupe du Monde et les raisons pour lesquelles la celeste y blanca va être éliminée avant la finale.

Victoire :

A) Juan Román Riquelme. L’entraîneur José Pekerman l’a désigné comme le responsable du fonctionnement offensif de l’équipe. S’il réussit à échapper aux défenseurs adverses, Riquelme va alimenter les deux attaquants, Hernán Crespo et Javier « le p’tit lapin » Saviola (ou Carlos Tevez). Il s’en est bien tiré contre la Côte d’Ivoire. C’est bon signe.

B) Il y a six hommes de pointe : Crespo, Tevez, Messi, Saviola, Cruz et Palacio ; trois milieux de terrain offensifs : Riquelme, Aimar et Rodríguez ; un défenseur capable de marquer : le capitaine Sorín. Cette équipe privilégie autant l’attaque qu’un Secrétaire d’État américain.

C) Une défensive polyfonctionnelle : Coloccini, Burdisso, Heinze et Cufré peuvent jouer autant au centre qu’occuper les positions latérales. Heinze préfère jouer au centre parce qu’il est niaiseux sur les bords (merci Gilles Latulippe).

D) Le coach Pekerman a déjà travaillé avec 17 des 23 joueurs quand il entraînait l’équipe juvénile. Il connaît très bien le potentiel de chacun.

Défaite :

A) Le Brésil va remporter une sixième Coupe du Monde. À quel point l’indice brésilien d’optimisme et de confiance est élevé ? Parreira, le technicien du jogo bonito, a autorisé ses joueurs à maintenir une activité sexuelle normale durant la compétition. C’est tout dire.

B) Les Argentins mettent beaucoup trop d’espoir sur les épaules d’un seul joueur : Lionel Messi. Comme le soulignait la revue Barcelona : « La blessure de Messi a plus d’importance que les inondations dans la province de Chaco. » Le gars a juste 18 ans (19 avant la fin du mois), se remet d’un problème au genou et passe autant de temps à s’entraîner qu’à faire des pubs de chouclaque, de babayum et de crème soda. Pelé aussi avait 18 ans en 1958, mais c’était à l’époque glorieuse du BVT – le Bon-Vieux-Temps.

C) Les trois gardiens n’ont rien d’extraordinaire. Que dire de plus ? Aussi bien placer une citation de Groucho Marx : J’ai déjà voulu m’inscrire à un club de plage qui s’appelait Sands Point Baths and Sun Club. J’ai rempli le formulaire et le gérant est venu me dire que je ne pouvais pas être membre parce que j’étais juif. Je lui ai répondu : « Mon fils est seulement à moitié juif. Est-ce qu’il pourrait rentrer dans l’eau jusqu’aux genoux ? »

Les arrêts de jeu :

Les couleurs de la Hollande… orange vif… Vraiment pas sérieux du tout. Si Van Gogh voyait ça, il se trancherait autre chose que l’oreille. Des couleurs semblables, tu utilises ça pour chasser l’orignal en Abitibi.

Si les Etats-Unis jouent contre le Mexique… une fois rendus en territoire américain, les Mexicains ne voudront plus rien savoir de retourner dans leur zone.

Le match Allemagne-Pologne… pas sans rappeler le Mondial de 1939 durant lequel les Allemands n’avaient eu aucune difficulté à percer la défensive polonaise. Suite à cette victoire, les Allemands ont ouvert un camp d’entraînement à Auschwitz. Leurs efforts n’ont pas été suffisants : ils ont perdu en finale contre les Alliés.

13.6.06

Argentine-Uruguay : La guerre du papier

Article paru dans le magazine L'Actualité.

Le différend qui oppose l'Uruguay et l'Argentine illustre bien les limites des frontières nationales en matière de protection de l'environnement.

Au coeur du litige: la construction de deux usines de pâtes et papiers près de Fray Bentos, en Uruguay. Un investissement de 1,8 milliards de dollars américains (le plus important de l'histoire du pays) qui entraînera la création de milliers d'emplois. Mais les Argentins craignent que les rejets toxiques causés par le blanchiment de la pâte d'eucalyptus n'augmentent sensiblement la pollution du fleuve Uruguay, qui sépare les deux pays. Buenos Aires accuse Montevideo de ne pas respecter les accords internationaux relatifs au développement industriel en bordure d'un cours d'eau frontalier. Le tribunal international de La Haye pourrait être appelé à trancher. Dominic G. Turgeon

6.6.06

LE CHILI ET LE MONDIAL.

Veux-tu me dire comment ça le Chili n’a pas participé aux éditions 90 et 94 du Mondial ? Ça va peut-être m’aider à réduire ma consommation d’anxiolytique. En 2006, je le sais déjà, la sélection était trop mauvaise.

Le 3 septembre 1989, au cours d’une rencontre éliminatoire pour le Mondial 90, le Chili jouait contre le Brésil au stade Maracanã, à Rio de Janeiro. Au milieu de la partie, un feu de bengale, lancé par un spectateur enragé, a atterri tout près du gardien chilien Roberto « El Cóndor » Rojas. Celui-ci s’est effondré sur le terrain, le visage ensanglanté. Les autorités n’ont pas été dupes. Le gardien s’était coupé le front avec une lame de rasoir cachée dans son gant. Après une étude de cas, la FIFA a empêché le Chili de participer aux qualifications d’Italie 90 et de USA 94. El Cóndor a été suspendu à vie.

Une anecdote pareille ne résout pas le problème de la faim dans le monde, mais il reste moins de temps avant l’heure du dîner. C’est quand même ça.

5.6.06


Ce qui se passe dans la vie d’un bloggeur quand sa copine est partie dix jours au Chili.

Vendredi matin.

Je dois me rendre au café Internet pour envoyer une facture au magazine L’Actualité. Un obstacle se dresse devant moi : la porte de l’appartement. La veille, j’ai fermé à clé de l’intérieur et il n’y a plus moyen de débarrer la serrure. Si je continue à sacrer et à frapper sur la porte, les voisins vont avertir les services d’immigration ou à tout le moins le concierge. Ah oui ! mon téléphone cellulaire. Le proprio demeure dans l’appartement sous le nôtre, au deuxième étage. Je tombe sur le répondeur. Pas de problèmes. Fabiana, la notaire responsable de la location des appartements, habite tout juste à côté du proprio. « Fabiana, je suis enfermé dans l’appart. Non je peux pas sortir par la porte de la cuisine. La clé est dans le sac de Geneviève et Geneviève se trouve à Santiago. » « Je termine de m’habiller et j’arrive. » L’avenir n’appartient plus aux gens qui se lèvent tôt. Il a été vendu à Sony corporation. Les Argentins l’ont bien compris : 10h15, Fabiana est encore à la maison. Vingt minutes plus tard, j’attends toujours son arrivée. Est-ce que je dois la rappeler ? Sans doute que si j’allais aux toilettes, elle se pointerait à ce moment. Pourquoi je n’ai pas envie ? Je me sers un grand verre d’eau froide. Par où me sauver quand les flammes vont atteindre le troisième étage ? L’incendie est imminent. Je suis fait comme un rat. Non. Je pourrais grimper sur le bord de la fenêtre et sauter sur le balcon de l’appartement voisin. Trois étages au-dessus du vide, il n’y a rien là. 45 minutes après mon appel, Fabiana cogne à la porte. Elle va chercher le concierge parce qu’elle n’a pas d’autre clé. Celui-ci parvient à saisir le bout de clé qui dépasse sous la porte. L’espace est insuffisant pour qu’elle glisse en douceur. Une paire de pinces va faire la job. Le bruit du bois qui fend est un signe de délivrance. « Dominic, pourquoi la fenêtre est ouverte ? Il ne fait pas plus de 12 degrés. » « Aucune idée. »

Samedi.

L’autobus à destination des montagnes de Piedras Blancas part avec une vingtaine de minutes de retard. Un groupe d’adolescents s’en va camper dans la région de Potrerillos, quinze kilomètres avant mon arrêt. Le nombre maximal de passagers ne se limite pas au nombre de sièges. En autant qu’on puisse fermer la porte. Il n’y a plus moyen de circuler dans l’allée pour se rendre jusqu’à la toilette. Faux problème tout ça : il n’y a pas de toilette.

Le soleil doit être levé depuis une trentaine de minutes, mais pas moyen de l’apercevoir à travers le plafond nuageux. Peut-être qu’il va pleuvoir. Je n’ai jamais vu autant de nuages dans le ciel de Mendoza. Aucune éclaircie en vue. Est-ce que j’aurais dû consulter le bulletin météo ?

Dialogue entre moi-même et ma Bonne Conscience, représentée sous la forme d’un psychologue vêtu d’un complet Armani.

« C’était trop compliqué de regarder dans le journal pour savoir le temps qu’il ferait ? »

« Écoute ma BC. Tu sais ce que je pense de la météo. C’est ben juste un luxe de membre privilégié du G-8. Payer quelqu’un à la TV pour te dire la température du lendemain, c’est aussi stupide que de payer quelqu’un pour te dire quel jour on va être demain. La météo et l’horoscope : même scrap. Combien de jours par année t’as vraiment besoin de savoir le temps qu’il va faire le lendemain ? Orage ou soleil : tu commences à travailler à la même heure. Quand tu te lèves le matin, tu regardes par la fenêtre pour avoir une idée de ce qui t’attend. Lundi, on est le 5 juin. J’irai pas faire de la raquette à Tremblant, c’est clair dans ma tête. S’il fait plus chaud que tu pensais, t’enlèves ton chandail. Mais l’arnaque suprême, ce sont les prévisions à long terme, 4-5 jours à l’avance. De un, à la quantité d’infos qui te passent dans la tête, te rappelles-tu le samedi matin ce que la fille de la météo a dit le mardi soir. Non. Moi non plus. De deux, il peut se passer tellement d’affaires dans l’atmosphère en 24 heures que ces prédictions-là veulent rien dire. C’est comme se demander s’il y a les 26 lettres de l’alphabet dans chaque boîte d’Alpha-bits. De trois, c’est quoi le sous-entendu ? Hey ! Ton boss va t’emmerder jusqu’à vendredi, mais fais-toi en pas il va faire beau dimanche. »

« Quand même, exagère pas trop. »

« Ça veut dire quoi 50% de chances de précipitation ? C’est une façon d’avoir toujours raison. Il pleut : je te l’avais dit qu’il y avait une chance sur deux. Il fait beau : je te l’avais dit qu’il y avait une chance sur deux. Les météorologistes sont les politiciens du thermomètre : ils vont jamais admettre qu’ils se sont trompés et que leurs prédictions valaient pas grand-chose.

Est-ce que ça nous prend quelqu’un pour dire que le front froid va se terminer dans deux jours ? Est-ce que j’ai besoin d’espérance à ce point-là ? De toute manière, je peux rien changer à la situation. Si elle voulait se rendre vraiment utile la fille de la météo, elle viendrait pelleter le banc de neige dans ma cour.

Le Canal Météo est un symptôme de la dépression majeure de l’homme moderne. Pourquoi ? Pas capable de vivre un seul instant dans le présent. Toujours besoin de savoir ce qui l’attend. Un être humain qui se fait accroire qu’il peut absolument tout prévoir, tout contrôler grâce à ses techniques scientifiques. Se libérer de la servitude morale et religieuse à travers la pensée scientifique, c’est ben beau dans l’abstrait, mais dans la vie de tous les jours, des milliers de petits êtres humains concrets se sentent down parce qu’ils ont pas un contrôle parfait sur leur vie et qu’ils se sentent impuissants. Tu sais quoi mon ami ? Je vais introduire des considérations métaphysiques dans tout ça. Une des caractéristiques principales de Dieu est la Toute-Puissance ? Si tu dis que l’être humain a pas besoin de principe divin et que tu transfères cette omnipotence sur ses épaules, la pression peut être lourde à supporter, surtout quand la Réalité te démontre chaque jour à quel point t’es limité. Les pouvoirs de l’Être Humain, dans son ensemble, sont impressionnants. Pas ceux d’une seule personne. Ça va t’en prendre des canaux spécialisés pour soutenir ton égo. D’après moi, il y a un lien entre la consommation d’anti-dépresseurs et l’apparition du Canal Météo. Je sais pas si Nietzsche s’est penché sur la question. M’a mettre un Surhomme là-dessus. »

« Calme-toi mon ami, tu te parles juste à toi-même et ton voisin de siège trouve ça bizarre. Je peux pas faire grand-chose contre ça. »

« C’est toi qui as commencé. Le jour où j’inaugure la Nouvelle Inquisition, je vais partir le feu avec la direction de Météo Média. Pis watch out les psychologues pour pitou. »

Rien ne va plus. À mesure que l’autobus grimpe en altitude, la situation devient aussi nébuleuse qu’un poème de Pierre Lapointe. On ne voit pas à 10 mètres. J’aurais dû rester couché.

Cinq cent mètres avant l’arrivée au terminal, un abribus rouillé au bout d’une route de terre, je remarque un morceau de ciel bleu du côté gauche. En moins de temps qu’il ne m’en faut pour écrire cette proposition subordonnée, les nuages se dissipent. Plus précisément, l’autobus a traversé le plafond nuageux. Je regarde à ma droite : le Cordón del Plata : une série de sommets des Andes à 5 et 6000 mètres d’altitude. Le soleil peut cracher à volonté ses rayons sur les pics enneigés. Woups ! Ma crème solaire.

Il suffit de grimper quelques centaines de mètres, à flanc de montagne, pour avoir une vue d’ensemble. Du côté Est, vers Mendoza, les vallées avoisinantes et tout l’intérieur de l’Argentine, des nuages à perte de vue, des vagues d’écume. Vers l’Ouest, en direction du Chili, des montagnes arides, des chevaux sauvages et un ciel bleu immaculé.

Un habitant du village m’a dit qu’en marchant dans la vallée, il est possible de se rendre jusqu’à une chute. Je m’engage dans cette voie. Après une heure de marche, je décide de m’attaquer à un des sommets. Je préfère les hauteurs. Aucune chute ou cascade ne vaut un paysage spectaculaire comme celui des montagnes.

Poco a poco, petit à petit, répétait souvent mon guide dans les montagnes du Venezuela. Comme il n’y a pas de sentiers, je dois ajuster ma trajectoire selon le relief, en suivant les parties moins accidentées où les éboulis sont moins probables. Dans les zones d’ombre, les roches sont givrées. Durant la nuit, le point de congélation est franchi. Au soleil, il fait trop chaud à mon goût. La transpiration est plus abondante que les réserves d’eau.

À quelques mètres d’un premier sommet, je lève la tête à temps pour voir le condor qui passe tout juste au-dessus de ma tête. L’endroit est si tranquille qu’on peut l’entendre fendre l’air. Le rapace jette un coup d’œil vers moi. Je peux l’examiner en détails : le col de plumes blanches, la tête dénudée (c’est une femelle, le mâle aurait une crête), le bec crochu… Pendant la journée, une douzaine de ces oiseaux noirs ont traversé l’azur, comme dirait l’auteur-compositeur-interprète avide de cliché. En vol, ils ont près de 3 mètres d’envergure.

Ça ne sert plus à rien de le nier. Je suis devenu un adepte de la technologie cellulaire. La preuve : j’ai envoyé un message texte à une amie de Buenos Aires, tandis que je me trouvais à 3 500 mètres d’altitude. Wish you were here…

Malgré la fatigue et le risque de manquer le seul autobus pour Mendoza, je vais vers ce qui me semble être le meilleur point de vue des environs. Il faut suivre la crête. En cours de route, je tombe sur une centaine d’os blanchis par le soleil, ceux d’une espèce animale que je ne saurais pas identifier, sans doute des chevaux ou des lamas. Impossible de résister. Je place les os en ordre de grandeur, je saisis deux fémurs et je me tape un trip de percussion osseuse. Les sons aigus sont si percutants qu’ils me font vibrer toute l’oreille interne. L’écho produit un effet saisissant : la musique provient de partout à la fois.

Après un bref repos sur le dos d’un rocher, je poursuis ma marche. Un esprit raisonnable se serait contenté d’un arrêt au premier sommet. Pas question. Il m’en fallait plus. Pour la première fois de cette expédition, mis à part le hennissement des chevaux sauvages, un cri d’animal se fait entendre. Je n’ai pas la moindre idée de ce que c’est. Le fantôme d’un alpiniste ? (Si tu veux faire peur à un fantôme, qu’est-ce que tu lui dis ? Tu lui fais des menaces de vie ?) El Famoso Gato Andino ? Tout juste avant, j’ai découvert un spécimen de crotte séchée qui pourrait appartenir au chat andin (la quête se poursuit).

Le cri n’a rien d’un miaulement. Il s’agit plutôt d’un curieux ricanement, dont j’ai de la difficulté à identifier la provenance exacte. Ça pourrait être autant un oiseau qu’un rongeur ou un reptile. Je prépare ma défense : une roche dans chaque main. J’avance poco a poco. La solitude m’apparaît terrifiante. Elle dévoile une autre facette. Fini le sentiment de communion avec l’univers. Personne à moins de dix kilomètres. Aucun secours possible. Après un quatrième cri plus puissant que les autres, j’aperçois un troupeau de guanacos, proches cousins du lama. Le chef avertissait les autres de ma présence menaçante. La peur était réciproque. Les blonds guanacos retraitent vers les hauteurs. Je n’ai plus qu’à profiter de la vue sur le Cerro El Plata.

Pour descendre, je prends un chemin plus facile, mais qui me mène en direction opposée, vers le centre de ski ouvert deux mois par année, en juillet-août, s’il y a assez de neige.

Sur le chemin du retour, je croise un cinquième troupeau de chevaux sauvages. La suite est un épisode supplémentaire de mes mésaventures avec le règne animal : après l’attaque des lamas à Macchu Picchu et les morsures de fourmis en Amazonie, voici maintenant la fureur de l’étalon. Pour épater une jolie jument près de laquelle je me suis trop approché, un jeune cheval m’explique clairement la notion de territoire. Cris de colère à l’appui, il me poursuit sur une vingtaine de mètres. Même si j’avais les genoux en morceaux, l’adrénaline a compensé de manière admirable.

Dans le taxi qui me conduit de la station à chez moi, le chauffeur m’apprend qu’il a plu sur Mendoza pour la première fois en deux mois. Avant que je débarque, il me demande comment j’ai fait pour attraper un coup de soleil. J’ai pris un autobus jusqu’au paradis. Qué dices ?

p.s. Je n’ai aucune image (autre que mentale) de cette journée. Raison : l’appareil était dans le même sac que la clé de Geneviève, qui est à Santiago, capitale du Chili.

1.6.06

ACONCAGUA, USPALLATA, TUPUNGATO ET AUTRES MOTS DE 4 SYLLABES.

43 jours à Mendoza (Argentine) et toujours pas une goutte de pluie…

Comme se plaisait à hurler mon ex : « Même si tu habites au centre-ville, tu réussis à être toujours dans le champ. » (Le substantif dragon décrivait plus que son signe astrologique chinois).

Et moi de rétorquer : Rappelle-toi ce que disait cet écrivain, traduit aussi souvent en justice qu’en espagnol : « Tes commentaires sarcastiques sont des enveloppes vides dans le guichet automatique de mon esprit. »

Ce que disait l’homme de la rue à la femme qui fait le trottoir était prophétique : « Cette histoire va se terminer dans un cul-de-sac. » Enfin…

Je pourrais lui dire aujourd’hui que j’habite au centre-ville de Mendoza et que je suis toujours dans les montagnes.

Presque toujours.

Mendoza est à une centaine de kilomètres de la cordillère des Andes. De la ville, il n’est pas possible de voir l’Aconcagua – la plus haute montagne des Amériques (6954m d’altitude) – parce qu’une autre chaîne de montagnes, la Sierra de Uspallata, se trouve entre les deux.

Mendoza est la capitale de la province du même nom. Les rues de la ville, distribuées sur une surface entièrement plane, sont construites selon un plan cartésien : à angle droit, dans les axes Nord-Sud et Est-Ouest. Les Mendocinos semblent davantage fascinés par le Code Da Vinci que le code routier. Ils seraient incapables de reconnaître notre fameux « Arrêt Stop ». Aux nombreuses intersections où il n’y a pas de feux de circulation, aucune règle précise ne s’applique. Chaque automobiliste ralentit plus ou moins et évalue s’il a le temps de passer. La situation encourage le piéton à réviser à voix haute sa check-list de vocabulaire sacré.

Si ce n’était de l’irrigation, les terres de Mendoza seraient désertiques. La situation se compare à celle d’Osoyoos (ceux qui ont déjà cueilli des fruits dans la vallée de l’Okanagan vont avoir une idée). Il y autant de variétés de cactus que de cépages. Pour la culture des vignes, la situation climatique est idéale. Peut-être avez-vous déjà remarqué que les vins argentins ont une forte teneur en alcool (je le constate trop souvent au goût de mon Surmoi). C’est le résultat de centaines d’heures d’ensoleillement : les raisins sont gorgés de sucre comme nulle part ailleurs.

On peut se contenter d’observer les montagnes, dont les sommets seront bientôt enneigés, en restant les deux pieds plantés dans un champ de raisins et en dégustant les grappes que les cueilleurs ont oubliées – la cuvée 2006 mûrit à l’intérieur de tonneaux de chêne à 1000 Euros l’unité. Ce panorama enrichit les fabricants de carte postale.

Sinon, pour les esprits radicaux, de novembre à mars, il est possible de s’attaquer à l’Aconcagua. L’ascension ne demande pas d’habiletés techniques d’alpinisme. Avant tout, il faut la détermination et une bonne forme physique.

Des centaines de kilomètres de sentiers sont accessibles aux aventuriers. Un autre objectif intéressant est le volcan Tupungato, le plus haut sur toute notre planète. Difficile de se rendre au sommet, mais facile à admirer. Il est fort possible qu’un condor s’immisce dans votre champ de vision durant cette exercice de contemplation.

Les montagnes de Uspallata offrent un défi raisonnable et une vue incomparable sur l’Aconcagua et la plaine qui sépare les deux cordillères. J’enseigne ma philosophie du trekking à ma Chicoutimienne : « L’important, c’est de monter. Après ça, on cherchera une façon de descendre. Une chose à la fois. La pensée séquentielle, y a que ça de vrai. » Si vous traînez une bouteille de Malbec jusqu’au sommet, n’oubliez pas de mettre l’ouvre-bouteille dans votre sac. Autrement, vous éprouverez un sentiment comparable à celui lorsque vous avez surpris une collègue de l’Ordre des psys, dans un party à 4 heures du matin, les lèvres suspendues au goulot d’un spectaculaire Cabernet Sauvignon 98, en plein du genre qu’on ne boit pas après 12 bouteilles, offert par une tierce demoiselle qui a toujours résisté à vos tentatives de séduction.

La semaine dernière, Geneviève et moi sommes allés nous baigner dans des sources d’eau chaude au milieu des montagnes. Calé dans l’eau jusqu’au cou, je scrutais le flanc des sommets voisins en espérant y dénicher un chat andin (gato andino). Selon les biologistes, il ne reste pas plus de 3000 exemplaires (pour reprendre le terme espagnol) de ce félin. L’animal ressemble beaucoup au chat domestique, seulement sa taille et son poids sont supérieurs. Il pèse environ 7 kilos, de quoi complexer mon chat de Plateau.

Durant chaque expédition en montagne, je demeure aux aguets. Rien à signaler pour l’instant.

Ne perdons pas espoir, j’ai jusqu’à la fin juillet.

P.S. 2002 a été une excellente année pour les viticulteurs argentins. Surveillez ça sur les tablettes de votre monopole d’État favori…