26.7.07

LE JEU COMPLICE.

J'adore le festival de jazz de Montréal. D'abord pour des raisons musicales : le groove de Billy Martin (MM&W), la puissance d'Antibalas, les compositions de Jef Neve, les excès de Marc Ribot...

Mais aussi parce que c'est l'une des seules occasions que j'ai de voir des hommes dans la cinquantaine s'amuser. Pas seulement rire ou faire le comique. Mais véritablement jouer et s'amuser comme le font les enfants pour qui c'est la seule règle de vie.

Le 5 juillet dernier, j'étais au Spectrum de Montréal pour le spectacle du Bill Frisell Trio. Pendant plus de deux heures, le guitariste de 56 ans et le drummer Joey Baron, 52 ans, n'ont pas cessé un instant de se mettre au défi, de s'étonner l'un l'autre et de démontrer leur savoir-faire. Le contrebassiste Tony Scherr a partagé avec eux toutes ces mesures en mode majeur et mineur.

J'ai beau chercher d'autres exemples de complicité aussi franche... Ils ne sont pas nombreux. Mon père a fait le saut dans la cinquantaine avec une tumeur maligne cramponnée aux entrailles. Il est mort avant d'avoir 51. Les occasions de simplement rire n'ont pas été nombreuses pendant la dernière année de sa vie. Maudit cancer.

Bien sûr, un homme de 50 ou 60 ans peut s'amuser avec son nouveau petit-fils. La présence d'un enfant justifie le laisser-aller. Ou encore il peut s'en donner à coeur joie dans un party de famille. Les performances des Canadiens en fin de troisième peuvent aussi mener à un débordement collectif. En groupe, la chose est plus courante. Sans doute parce que chacun est à la fois témoin et participant.

C'est plus difficile d'atteindre un pareil abandon avec une personne du même âge, alors que ceux autour de nous peuvent épier nos réactions. Deux frères dans la cinquantaine ne se disent plus : "Hey, viens-tu t'amuser et jouer avec moi ?".

Le mot complicité partage des origines sémantiques avec le mot complexe. À cinquante ans, ce n'est plus évident d'en saisir le sens profond. Selon toute vraisemblance, il faut l'intelligence d'un enfant de quatre ans pour en décoder toutes les subtilités.

Bill Frisell