16.2.06

KEITH RICHARDS ET LA SAMBA DE QUIZOMBA.

Samedi prochain, je ne serai pas parmi les quelques deux millions de spectateurs qui vont envahir la plage de Copacabana pour le spectacle des Rolling Stones. Le groupe espère établir un record mondial d’assistance. Ils ont choisi le bon endroit. Les Cariocas, habitants de Rio de Janeiro, détestent la solitude. Dès qu’on leur donne l’occasion de se rassembler, ils affluent de tous les quartiers.

Au mois de janvier, durant un spectacle qui a réuni 300 000 spectateurs sur la plage de Flamengo, la musique de Babado Novo a fait trembler la façade des édifices les plus proches et fait tomber des morceaux de toiture. Ce n’était certainement pas un motif suffisant pour annuler le show du groupe Skank dix jours plus tard. On ne prive pas un Carioca du plaisir de danser debout sur les rangées de toilettes chimiques.

Le Bloco Quizomba, dont je fais partie depuis novembre dernier, montera lui aussi sur scène samedi soir. Le spectacle du 18 février marquera la fin de notre séjour au Circo Voador. Ce sera la septième fois que nous jouons pour le public du quartier Lapa. Il y aura deux autres shows (les 16 et 23 février) dans un centre culturel. L’événement culminant sera le défilé du Carnaval, mardi 28 février. Au total, Quizomba aura donné une douzaine de représentations en deux mois.

Le répertoire de Quizomba se compose d’interprétations de MPB (Música Popular Brasileira) et d’une pièce originale. Ils sont nombreux les groupes qui se consacrent à la musique des autres. Rio de Janeiro est le berceau de la samba. L’interprétation joue un rôle particulier. Ça demeure une forme de tradition orale, une façon de transmettre un héritage culturel. Comme tout le monde connaît les paroles et la musique par cœur, il est facile d’apporter sa contribution en chantant, en dansant ou en tapant dans ses mains. Et tout aussi facile d’improviser un party au coin d’une rue.

En contrepartie, la mise en valeur des traditions limite l’exploration de nouveaux horizons. Par exemple, les thèmes des chansons de Carnaval se ressemblent tous. J’imagine que les compositeurs utilisent une paire de dés avec, sur chaque face, des mots comme joie, bonheur, allégresse… Ils utilisent les combinaisons obtenues. Je suis saturé de ces formules : la joie d’être content, le bonheur d’être heureux, le cœur joyeux, le bonheur dans son cœur, l’allégresse du Carnaval, etc.

Bloco Quizomba existe depuis environ quatre ans, mais c’est la première année où il obtient autant de visibilité. Un journal de São Paulo a classé Quizomba parmi les 10 meilleurs blocos de Rio de Janeiro. Quelques semaines auparavant, un réseau de télé a fait un reportage durant lequel le gringo canadien a été interviewé. Ce qui m’a permis de me faire reconnaître dans la rue et de gruger 2 min 30 de mon quinze minutes de gloire (il doit m’en rester neuf minutes). Deux ou trois autres publications ont également écrit un papier au sujet du groupe.

Certains musiciens du groupe sont des professionnels – voir à ce sujet le billet intitulé La mélodie du Beetle –, mais la plupart viennent de différents horizons : avocat, militaire, entrepreneur… Je vais en profiter pour souligner une différence fondamentale entre Cariocas et Québécois par rapport à la place du travail dans leur vie. Même si je connais bien plusieurs membres de Quizomba, je sais peu de choses par rapport à leur vie professionnelle. Le sujet ne fait simplement pas partie des thèmes les plus courants.

En plus de la quarantaine de percussionnistes, deux chanteuses, un chanteur, un guitariste et un bassiste prennent en charge l’harmonie. Sans compter les nombreux invités qui se joignent chaque semaine pour une participation spéciale. Sur scène non plus, les Cariocas n’aiment pas se retrouver seuls. Les groupes sont formés en moyenne de huit ou neuf musiciens. Ils sont incapables de ne pas inviter leur chum qui joue du triangle ou du didjeridoo. Même le Djambo Trio compte sept membres.

Le samedi 18 février sera pour moi une soirée mémorable, mais pas pour les mêmes raisons que les deux millions de Cariocas à Copacabana.

14.2.06

Article paru dans le magazine L'actualité (édition du 10 février).


Pas de gringos dans mon défilé!

Les touristes qui souhaitent se mêler aux danseurs à l'occasion du défilé du Carnaval de Rio à la fin du mois devront se contenter d'être spectateurs. Les 14 principales écoles de samba de Rio ont en effet décidé de leur interdire de participer à ce défilé, le plus prestigieux du Brésil, qui réunit l'élite de la samba dans l'enceinte du Sambódromo.

Humberto Carneiro, président de l'école de samba Império Serrano, résume leur position: « Plusieurs touristes arrivent à Rio trois ou quatre jours avant le début du Carnaval. Ils s'achètent un costume de fantaisie et se disent prêts à participer au défilé. Ils ne savent pas danser la samba et n'ont aucune connaissance de ce style musical. Cela nuit à la qualité du spectacle», a-t-il confié à un journal brésilien. Quarante juges évaluent chaque dimension du spectacle : harmonie, rythme, chorégraphie, costumes. La présence de danseurs inexpérimentés peut entraîner la perte de points au classement final.

Reste que ces participants de dernière minute payaient le gros prix pour leur costume, finançant en quelque sorte les écoles. Les touristes seront désormais contraints de se joindre aux défilés de quartier. Le Carnaval de Rio a lieu du 25 au 28 février. D. G. T.

5.2.06

STADE FINAL

Le championnat de foot de l’État de Rio de Janeiro a débuté le 14 janvier dernier. Cette compétition célèbre en 2006 son centième anniversaire.

Il n’a pas fallu attendre longtemps avant que se produise la première grande confusão de l’histoire du football carioca. En 1907, Fluminense et Botafogo font match nul durant la finale de la compétition. Pour une raison inconnue, il n’y a pas eu de temps supplémentaire ni de tirs au but afin de déterminer le vainqueur. Au cours des décennies suivantes, les deux équipes vont plutôt se battre devant les tribunaux. Quatre-vingt-dix ans après le coup de sifflet, la Justice sportive confirme le partage du titre entre Fluminense et Botafogo. (Heureusement, je n’ai pas eu à attendre aussi longtemps pour obtenir la prolongation de mon visa.)

Le foot brésilien est reconnu pour son caractère offensif : Pelé, Garrincha, Zico, Romário, Rivaldo, Ronaldo... Si t’es défenseur au Brésil, c’est parce que t’arrives en retard aux pratiques. Cette tendance n’est pas nouvelle : le 30 mai 1909, dans le cadre du championnat d’État, Botafogo a humilié Madureira 24 à 0.

Dimanche 29 janvier, le champion de 1906 (et de 29 autres éditions), Fluminense, rencontre son plus vieux rival, Flamengo. Ce sont deux des quatre grandes équipes de Rio. La première a été fondée en 1902 par Oscar Cox et ses partenaires. Cinq ans auparavant, durant un voyage d’études en Suisse, Oscar Cox avait découvert ce sport. Il a jugé bon l’implanter en Amérique du Sud. Les affrontements Fla-Flu sont toujours mémorables. Durant les années soixante, les deux équipes ont disputé un titre de championnat devant 177 020 spectateurs.

Le match se déroule au stade Maracanã. Depuis plus de neuf mois, il était fermé au public pour des rénovations majeures en vue des jeux Panaméricains de 2007. Ce terrain occupe une place immense dans l’imaginaire collectif des habitants de Rio et du Brésil en général. Des dizaines de finales ont eu lieu dans ce stade. En 1950, l’Uruguay a vaincu le Brésil et remporté la Coupe du Monde sur le gazon du Maracanã. Une fracture de l’orgueil encore sensible à ce jour.

Le plan initial prévoyait la réouverture du Maracanã en septembre dernier, pour le match de classification Brésil-Chili. Quand on a demandé au foreman si la chose était réaliste, il s’est étouffé avec sa bière. OK d’abord : mi-octobre pour la rencontre Brésil-Vénézuela. « La commande de nouveaux sièges est toujours pas arrivée. » a fait remarquer le foreman. Bon ben… en novembre pour les parties locales du Fluminense. Le foreman n’a pas dit un mot, mais il s’est mis à siffler un succès de Kenny G. Finalement, on s’est dit que la meilleure décision serait d’ouvrir la moitié du stade en janvier.

Les travaux ne sont toujours pas complétés et ne le seront qu’en novembre 2006. Il y a tout de même 44 000 places disponibles dans l’anneau supérieur. La capacité maximale est d’environ 90 000 spectateurs.

Sur le terrain, le meilleur joueur du Fluminense s’appelle Petkovic. Il est originaire de la Serbie-Monténégro. C’est un des rares Européens qui jouent au Brésil. Du côté adverse, les partisans de Flamengo ont adopté l’attaquant paraguayen Cesar « El Tigre » Ramirez. En 2005, le meilleur joueur du championnat brésilien était un Argentin du nom de Carlos Tevez. Le talent brésilien serait-il en pleine rupture de stock ? Pas vraiment. Le problème se résume de la manière suivante : aussitôt qu’un Brésilien démontre des habiletés supérieures à la moyenne, un club européen lui propose un contrat. Par exemple, Fred, le meilleur joueur durant les premiers mois de 2005, a accepté un transfert à Lyon en plein milieu de la saison. Si au moins il était allé jouer en Espagne ou en Italie…

Les gringos Petkovic et Ramirez ont marqué chacun un but. Résultat final : Flamengo 2 – Fluminense 2.

Un résultat comme celui-là limite les confrontations entre torcedores ennemis. Aucune équipe n’a perdu la face. Seulement deux partisans de Flamengo se sont faits tirer dessus à la sortie du stade. Leurs vies ne sont pas en danger.