25.10.05

NÂO 64 %

SIM 36 %


En très grande majorité, les Brésiliens ont dit non à la prohibition du commerce des armes à feu. La réponse a été négative dans les 26 États et dans le district fédéral de la capitale Brasília. Dans l’État de Rio Grande do Sul, où se trouve la ville de Porto Alegre, 86,83% de la population a voté contre la prohibition.

Si le gouvernement de Lula espérait que ce référendum lui permette de faire oublier les scandales de corruption et de gagner en popularité, il faut tirer un constat d’échec. Le message est clair : pas question de renoncer à un droit si l’État n’est pas en mesure d’assurer notre sécurité.

(La tendance actuelle, au sein de la classe moyenne aisée, consiste à payer un garde du corps le samedi soir pour accompagner les ados durant leur trip d’extasy. Le colosse armé peut intervenir s’il y a une tentative d’assaut sur la personne de son client.)

Les Brésiliens se méfient du discours des institutions fédérales. Les problèmes de sécurité publique atteignent des proportions inégalées. Faisons appel à nos amies les statistiques pour illustrer la situation. En 2004, aux Etats-Unis, un pays de 280 millions d’habitants, reconnu pour être un endroit violent, il y a eu environ 16 000 meurtres. La même année, au Brésil, le poids lourd sud-américain de 180 millions de citoyens, le nombre de meurtres s’élevait à 46 000. Presque trois fois plus. Il y a une véritable guerre civile…

Policiers et militaires n’ont pas la confiance entière de la population. Une grande partie de la population a vécu sous la dictature militaire de 1964 jusqu’au milieu des années 80. Dans plusieurs cas, ce sont les policiers qui vendent les armes aux trafiquants de drogues. Les coupables ne sont pas toujours punis. La minorité de Brésiliens bien nantis pensent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes quand il est question de protection.

(En octobre 1992, après une rébellion dans la prison de Carandiru, 111 prisonniers sont tués par la police. Le colonel Ubiratan Guimarães a été condamné à 632 ans de prison pour cet abus de pouvoir. Comme il a fait appel de cette décision, il demeure en liberté jusqu’à son nouveau procès. Pour l’instant, il est député dans l’état de Sao Paulo.)

D’autre part, on craignait que la prohibition ait les mêmes effets que la prohibition américaine de l’alcool durant les années 30 : il n’y a jamais eu autant de contrebande qu’à cette époque. Le Brésil partage un total de 17 000 kilomètres avec ses voisins sud-américains. Peu de gens croyaient que le gouvernement serait en mesure d’empêcher un trafic qui, de toute manière, existe déjà aux frontières du Paraguay.

La question du référendum est réglée : on peut continuer, au grand plaisir des lobbys des marchands d’armes, à se procurer un pistolet ou une carabine. Maintenant, il faudrait rappeler à ces mêmes lobbys qu’il demeure interdit d’acheter un juge, un ministre ou un arbitre de foot.

18.10.05

- Comme ça... tu écris. Est-ce que ça marche bien ?

- Disons que je roule sur l'accotement de l'autoroute du succès.

Je me présente à l'appartement pour 9 heures. La proprio simule un intérêt pour ce que je fais et dit ensuite de me présenter à 10 heures au bureau de son avocat. Il a en main le contrat de location.

- Oui mais... pourquoi vous m'avez fait venir ici au lieu de me donner l'adresse du bureau ? J'ai déjà visité l'appart.

(Bon... une autre qui est en chicane avec le gros Bon Sens.)

- On va se revoir demain.

- Je pensais pouvoir rentrer aujourd'hui.

- C'est qu'il faut faire le ménage...

- L'endroit a ben de l'allure. Ça devrait pas être trop long.

- ... Je devrais terminer vers 17 heures.

- Quoi ! 9 à 5. Même moi je pourrais faire ça en un avant-midi.

- Il va falloir que je sorte et que je rentre plusieurs fois pour acheter ce qui manque : savon, papier de toilette...

- Justement si vous sortez une seule fois, vous allez pouvoir tout faire en 2 heures.

À 10 heures, l'avocat n'est pas dans son bureau.

Son fils m'invite à patienter. Quand il est perdu dans ses réflexions, on jurerait qu'il est sur le point d'inventer l'eau en poudre.

Un autre avocat tape une lettre à l'ordinateur en utilisant seulement deux doigts. Il n'arrête pas de se parler tout seul. Je crois qu'à sa naissance il y a eu une erreur médicale : le docteur a jeté le bébé et envoyé le placenta à la pouponnière.

Un avocat du troisième âge arrive au rendez-vous avec 30 minutes de retard. Je parie qu'il va me sortir l'excuse du problème de prostate.

Je rentre dans son bureau, le Sanctuaire du Brun : une déclinaison parfaite : du brun cacao au brun Revel-O en passant par le brun Léziboy-chez-Mario.

À 10 heures 45, la secrétaire salue son patron et s'installe à sa table de travail.

Ils sont quatre dans un bureau de 3 mètres par 5.

Je passe une heure et demie à négocier le prix de l'appart pour la haute saison. Les prix grimpent aussi vite que... (il y a un trou parce qu'une gang de rue m'a volé le punch).

Derrière le fauteuil de l'avocat, il y a un miroir de deux mètres par deux (sans doute pour donner l'illusion que la pièce est plus grande). Je peux m'observer pendant que je gesticule et porter attention à mon nez luisant, parce qu'à 40 degrés la production de sébum est pas mal au maximum.

Comme je dois présenter mes documents officiels, qui sont à l'hôtel, l'avocat fixe un rendez-vous pour conclure l'entente. Il me propose le lendemain 10 heures. Son fils intervient et lui rappelle qu'il a d'autres obligations. Je dépose une contre-offre : à 16 heures aujourd'hui même. Tout le monde est d'accord.

Quand je reviens en après-midi, l'avocat m'accompagne au rez-de-chaussée pour faire une photocopie de mon passeport.

- On va se revoir demain pour continuer le processus.

- Quoi? J'ai marché une demie-heure pour venir faire une photocopie.

- On va tout régler demain à 10 heures.

- Mais tantôt votre fils a dit que vous aviez d'autres choses à faire durant l'avant-midi.

- Non, non. Il y aura pas de problèmes.

Je lui demande subtilement s'il approche de la retraite.

- Ça fait longtemps que vous êtes avocat ?

- Environ 10 ans.

- Pas plus !

- Avant j'étais ministre évangélique de l'église Baptiste.

- Ah... sti.

- Quoi ?

- C'est original une seconde carrière à 55 ans.

- Es-tu praticant ?

- Dieu merci, je suis agnostique.

Au pays de la margarine à la cannelle, il faut s'armer de patience à défaut de pouvoir s'offrir un fusil semi-automatique.

Le lendemain...

L'avocat n'a que 20 minutes de retard. À ma grande surprise, nous pouvons conclure l'entente en moins de deux heures.

Avant de se quitter...

- Mon collègue avocat parle toujours beaucoup. Faut pas lui en vouloir. C'est parce qu'il a déjà souffert d'artério-sclérose.

- Euh... Ah ouin.

Me voilà chez moi. D'ici, je peux voir le Pão de Açúcar, une offrande de Dieu à l'industrie de la carte postale.




P.S. Il y a un divan-lit pour ceux qui souhaiteraient venir faire un tour.

17.10.05

Pour Luisão et ses collègues, une température de 34 degrés à 8 heures 20 signifie que la journée sera bien remplie. Il n'y a plus d'électricité dans le bar où travaille Luisão. Voilà plusieurs mois que l'université, propriétaire de tous les terrains sur l'île du Fundão, a coupé le courant à l'intérieur de l'établissement. La direction souhaite que le bar disparaisse de l'île.

La réponse de Luisão : "On était là avant la construction du campus. On a le droit de rester."

Les 35 000 étudiants ne se sont jamais plaints aux autorités. Sur tout le territoire de l'université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), il s'agit d'un des deux seuls endroits où on vend de l'alcool.

Le défi quotidien est de garder la bière très froide. Au Brésil, on conserve les bouteilles dans des congélateurs à 3 ou 4 degrés sous zéro. La bière, ça se boit "estupidamente gelada". Quitte à trouver de la sloche dans son verre. Aussitôt que la boisson devient tiède, les universitaires (et les Brésiliens en général) jettent par terre ce qui reste dans la bouteille.

À 13 heures 30, vendredi, les premiers clients sont arrivés et Luisão attend avec impatience les sacs de glace format 20 litres. Le bar reçoit plusieurs livraisons par jour.

Une auto, dont le coffre et les portes sont ouvertes, est stationnée près de la terrasse. Le dernier CD de Charlie Brown Jr. joue à tue-tête. C'est un groupe brésilien qui réussit à conjuguer texte anti-capitaliste et contrats de pub pour Coca-Cola.

En face du bar, de l'autre côté de la baie, il est difficile de manquer l'hôpital universitaire. Bien sûr que l'édifice est imposant, mais seulement la moitié est occupée. Depuis presque 40 ans l'UFRJ n'a jamais eu les moyens de compléter la construction. En s'approchant de l'hôpital, on remarque un amalgame de vide et de béton sur douze étages. Dans les ouvertures, où devraient se trouver les fenêtres, des toiles en plastique claquent au vent.

Quelques mètres plus loin, derrière la terrasse, les enfants d'une favela voisine se baignent dans des eaux où flottent une centaine de poissons morts. Il y a des enfants un peu partout sur le campus. Comme les pavillons sont éloignés les uns des autres, un service de navette gratuit est offert aux étudiants. Les autobus sont bondés de garçons, âgés entre 8 et 11 ans, qui ont déjà abandonné l'école pour gagner un peu d'argent et assurer la survie de leur famille. L'université est leur terrain de jeu. Ils viennent pêcher le crabe et jouer au foot.

Entre deux gorgées de bière, les universitaires en profitent pour régler les problèmes du Brésil et de l'humanité en général. Ce n'est pas ce qui manque : corruption parmi les proches du président Lula, parties de foot truquées, disparition de 30 kilos de coke dans un poste de police, septième mort suspecte en relation avec l'assassinat du maire de Santo André...

Un peu à l'écart, quatre étudiants négocient l'achat de substances qui vous conduisent dans un état à deux pas du Wyoming.

Le commerce roule à fond. Ce sera bientôt plein à craquer. La glace est abondante.

Ça va Luisão ? "J'espère juste qu'on ne manquera pas de bière."

Il est 17 heures 45.

10.10.05

Que violência...

Jeudi, deux députés en viennent aux coups durant la session parlementaire. Ils sont séparés par un membre du Parti Communiste (le seul parti athée du Brésil) qui s'est exclamé : "Pour l'amour de Dieu, cessez de vous battre !".

Vendredi, un homme de 23 ans est tué par deux adolescents (17 et 14 ans) qui voulaient mettre la main sur son scooter. Trois balles lui ont transpercé le crâne.

Samedi, à la fin d'une partie de football (Palmeiras versus Botafogo), la police militaire abat un partisan. Les autorités croyaient qu'il s'agissait d'un criminel dangereux, alors que la victime venait demander leur aide. Edilson Santos fuyait un groupe d'agresseurs.

Le 23 octobre prochain, un référendum national se tiendra sur la question de la prohibition des armes à feu. Chaque année, environ 35 000 personnes meurent des suites d'une blessure par balles. Le débat entre tenants du Oui et du Non occupe toute l'actualité.

Même si les Brésiliens déplorent cette violence, ils en sont témoins ou victimes à chaque jour. Les manifestations d'agressivité se retrouvent jusque dans les émissions de télévision consacrées au divertissement le plus futile.

Le version brésilienne des insolences d'une caméra en est un bon exemple. Les sketchs se terminent très souvent par une bataille entre la victime et le farçeur. Par exemple, un vendeur de rue propose aux clients un nouveau type de sacs à vidanges. Un passant accepte d'essayer le produit. Le vendeur lui remet des sacs déjà rempli de déchets. En moins d'une minute, le passant devient furieux et s'en prend au vendeur. Les membres de l'équipe technique doivent intervenir en criant que tout ça est un coup monté. Le sketch est repris 5 ou 6 fois et la conclusion est toujours la même : la victime saute au cou du comédien.

Dans l'avion entre São Paulo et Rio de Janeiro, j'ai assisté à une projection de sketchs semblables réalisés à Montréal par l'équipe Juste pour Rire. Je reconnaissais certains endroits comme le parc Laurier ou le boulevard Saint-Laurent. Les Brésiliens adorent cette émission. Ils se tapent sur les cuisses à chaque punch.

Entre autres sketchs, j'ai retenu celui-ci : la scène se déroule dans un dépanneur. On fait croire à la victime que sa carte de guichet ne fonctionne plus. Le caissier échappe la carte derrière le comptoir et saisit une réplique. Il découpe la fausse carte devant un client étonné qui n'a rien vu aller. Bien sûr, le Québécois peut dire des gros mots, mais il ne perd pas le contrôle au point de donner des coups de pied. La même blague au Brésil se serait terminée dans un bain de sang.

Pas besoin de vous inquiéter, une furieuse urgence de vivre fait contrepoids à cette violence fondamentale.

Je vous laisse avec un classique de l'humour brésilien :

Saint-Pierre demande à Dieu : "Je sais bien que vous êtes Tout-Puissant et que votre CV contient une foule d'expériences intéressantes, mais je me pose des questions concernant un pays que vous venez de créer.

Le territoire est immense. Il n'y a jamais d'ouragans, de tremblements de terre ou autres catastrophes naturelles. Les récoltes seront abondantes, jusqu'à 3 par année. On va pouvoir y faire pousser des tonnes de café et de cacao (et attendre que quelqu'un invente le chocolat noir aux éclats de café). Il y a une variété incroyable de plantes, d'oiseaux, de plantes et d'animaux. La plus grande forêt vierge au monde se trouve dans ce pays. Des milliers de kilomètres de plage sur tout le littoral. Le soleil brille à l'année longue. Les habitants n'auront jamais à pelleter de la sloche ou à parler de la température avec le voisin d'en face.

Vous ne trouvez pas que ce pays va avoir un avantage trop grand sur les autres. Je ne reconnais plus vos principes d'égalité universelle. Peut-être qu'inconsciemment... pas que je veux insinuer quelque chose sur votre enfance... peut-être que vous avez voulu inventer l'impérialisme.

Dieu lui répond : "Fais-moi confiance. Attends de voir le peuple qui va se ramasser là."