17.10.05

Pour Luisão et ses collègues, une température de 34 degrés à 8 heures 20 signifie que la journée sera bien remplie. Il n'y a plus d'électricité dans le bar où travaille Luisão. Voilà plusieurs mois que l'université, propriétaire de tous les terrains sur l'île du Fundão, a coupé le courant à l'intérieur de l'établissement. La direction souhaite que le bar disparaisse de l'île.

La réponse de Luisão : "On était là avant la construction du campus. On a le droit de rester."

Les 35 000 étudiants ne se sont jamais plaints aux autorités. Sur tout le territoire de l'université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), il s'agit d'un des deux seuls endroits où on vend de l'alcool.

Le défi quotidien est de garder la bière très froide. Au Brésil, on conserve les bouteilles dans des congélateurs à 3 ou 4 degrés sous zéro. La bière, ça se boit "estupidamente gelada". Quitte à trouver de la sloche dans son verre. Aussitôt que la boisson devient tiède, les universitaires (et les Brésiliens en général) jettent par terre ce qui reste dans la bouteille.

À 13 heures 30, vendredi, les premiers clients sont arrivés et Luisão attend avec impatience les sacs de glace format 20 litres. Le bar reçoit plusieurs livraisons par jour.

Une auto, dont le coffre et les portes sont ouvertes, est stationnée près de la terrasse. Le dernier CD de Charlie Brown Jr. joue à tue-tête. C'est un groupe brésilien qui réussit à conjuguer texte anti-capitaliste et contrats de pub pour Coca-Cola.

En face du bar, de l'autre côté de la baie, il est difficile de manquer l'hôpital universitaire. Bien sûr que l'édifice est imposant, mais seulement la moitié est occupée. Depuis presque 40 ans l'UFRJ n'a jamais eu les moyens de compléter la construction. En s'approchant de l'hôpital, on remarque un amalgame de vide et de béton sur douze étages. Dans les ouvertures, où devraient se trouver les fenêtres, des toiles en plastique claquent au vent.

Quelques mètres plus loin, derrière la terrasse, les enfants d'une favela voisine se baignent dans des eaux où flottent une centaine de poissons morts. Il y a des enfants un peu partout sur le campus. Comme les pavillons sont éloignés les uns des autres, un service de navette gratuit est offert aux étudiants. Les autobus sont bondés de garçons, âgés entre 8 et 11 ans, qui ont déjà abandonné l'école pour gagner un peu d'argent et assurer la survie de leur famille. L'université est leur terrain de jeu. Ils viennent pêcher le crabe et jouer au foot.

Entre deux gorgées de bière, les universitaires en profitent pour régler les problèmes du Brésil et de l'humanité en général. Ce n'est pas ce qui manque : corruption parmi les proches du président Lula, parties de foot truquées, disparition de 30 kilos de coke dans un poste de police, septième mort suspecte en relation avec l'assassinat du maire de Santo André...

Un peu à l'écart, quatre étudiants négocient l'achat de substances qui vous conduisent dans un état à deux pas du Wyoming.

Le commerce roule à fond. Ce sera bientôt plein à craquer. La glace est abondante.

Ça va Luisão ? "J'espère juste qu'on ne manquera pas de bière."

Il est 17 heures 45.

1 commentaires:

À 2:39 p.m. , Anonymous Anonyme a dit...

La violence ambiante, la chaleur suffocante, la bière bien «frette».

Ouais. Tu y es, cher ami. Et en deux billets, tu as mieux fait comprendre le Brésil qu'une pile d'encyclopédies.
Le blogue te va bien, Dominic.

Te lire est un pur ravissement et j'anticipe déjà les délicieux épisodes à venir. Ton oeil juste et ta prose vivante (et clairement journalistique dans le deuxième message! Yahoo!! Bienvenu dans le groupe, collègue! :) auront de quoi faire rire, réfléchir et réchauffer les journées pluvieuses qui s'annoncent dans ce Québec où la couleur des arbres est déjà sur le «countdown».

Que dire donc, pour ce premier commentaire? Que je suis très heureuse de te savoir arrivé, en un seul morceau et que je te souhaite d'aller au bout de ce Brésil, je te souhaite de dompter la bête comme tu en es capable, avec intelligence, créativité et poésie. C'est très très bien parti.

On te lira sur le blogue et ailleurs, on t'écoutera, peut-être sur les ondes de notre société d'état...Dans tous les cas ce sera merveilleux d'avoir des nouvelles du Brésil. De ton Brésil.

Ta fidèle lectrice et amie,

Valérie x

PS: J'ai pensé à toi la semaine dernière, lors de mon séjour à New York, l'autre superbe bête urbaine. Avec trois jours et trois nuits de pluie aussi constante que chiante, de déluge délirant et de flotte incroyable, j'ai bien sur dû piger dans quelque réserve de jovialisme dont j'ai le secret. Et ça a marché! I love New fucking rainy York!!!!!!

 

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