26.4.06

RÉPONSES À DES QUESTIONS QU’ON SE POSE EN CONSULTANT SON ALBUM SOUVENIR D’IMAGES MENTALES PIS EN RÉALISANT QUE LE FLASH A FONCTIONNÉ JUSTE UNE FOIS SUR DEUX.

« Veux-tu ben me dire pourquoi Rio de Janeiro a été la capitale du Brésil à partir de 1763 et ce jusqu’à la construction de l’actuel centre du pouvoir, Brasilia ? », comme se plaît à demander mon enfant intérieur qui a sûrement suivi des cours enrichis.

Salvador de Bahia a été la capitale brésilienne durant plus de deux siècles. De là, on exportait vers l’Europe les tonnes de sucre produit sur les terres voisines.

En 1711, la Villa Rica d’Ouro Preto a obtenu le titre de cidade (ville). La population augmentait sans cesse en raison de la présence d’importants gisements d’or. Au cours du dix-huitième siècle, la production aurifère du Brésil a dépassé le volume total de ce que l’Espagne avait extrait de ses colonies durant les deux siècles antérieurs. Ouro Preto comptait parmi les villes les plus riches des Amériques.

Les valeurs spirituelles se ternissaient au contact de l’or. Les prêtres profitaient de leur immunité religieuse pour se livrer à la contrebande. Ils cachaient l’or à l’intérieur d’effigies sacrées en bois. Le problème était tel que la Couronne portugaise a interdit l’établissement de n’importe quel ordre religieux dans le district minier.

On pourrait croire que l’or est un aphrodisiaque qui rend fertile : la population de tout le pays s’est multiplié par onze pendant le siècle doré. En fait, ce sont surtout les 300 000 immigrants portugais qui ont contribué au boom démographique, un contingent supérieur à ce que l’Espagne a fourni à toutes ses colonies.

Ouro Preto (Or Noir) – maintenant reconnu par l’Unesco patrimoine de l’humanité, au même titre que le déhanchement des Brésiliennes – se trouve dans l’État du Minas Gerais, dont les frontières touchent à celle de Rio de Janeiro. Comme le port de Rio était la plus proche liaison avec le Portugal, la ville est devenue le centre du nouvel axe économique et politique du pays. Rio n’était alors qu’une modeste ville où on vendait sur les trottoirs des DVD pirates du dernier one man show de Montesquieu à l’Académie française.

« Pis à part de ça, pour kossé faire que les Portugais – ces sympathiques arriérés mentaux, pour reprendre la description lapidaire du linguiste et canotier Simon Légaré – ont pas faite la grosse piastre avec leur colonie brésilienne ? », que j’entends dans mon loft intérieur quand je supplie mes regrets de me parler d’autre chose que du fait que je ne suis pas devenu un pianiste cubain.

En 1703, à dix heures moins quart moins vingt, le Portugal et l’Angleterre ont signé le traité de Methuen. En échange de certains privilèges commerciaux pour ses vins, le Portugal et ses colonies ouvraient leur marché aux manufactures britanniques. Oulala… La gaffe, mes amis. Probablement que certains fonctionnaires avaient abusé sur le Porto pendant les négociations. Étant donné le déséquilibre du développement industriel, en faveur de l’Angleterre, l’accord signifiait la ruine des entreprises locales.

Ce n’est pas tout. Le Portugal a jugé important de montrer aux empires d’à côté qu’il était très bien capable de gâcher son avenir économique tout seul comme un grand. À en juger par les décisions suivantes : au Brésil : en 1715, interdiction de faire fonctionner les raffineries de sucre ; en 1729, il devient criminel de construire des nouvelles routes dans la région minière ; en 1785, la Couronne ordonne d’incendier les ateliers et les manufactures.

Déjà que l’Angleterre et la Hollande réussissaient à intercepter, de manière illicite, la moitié de l’or envoyé au Portugal en guise d’impôt royal, les voies légales d’enrichissement appartenaient aussi aux Anglais. Un premier ministre portugais réussit à comprendre la gammik en 1755. La métropole de Lisbonne s’est transformée en simple intermédiaire. Le ministre s’exclame (en mettant beaucoup d’emphase sur les deux points on ouvre les guillemets) : « Les Anglais ont conquis le Portugal sans les inconvénients d’une guerre de conquête. Les agents britanniques possèdent la totalité du commerce portugais. Même les esclaves noirs dans les mines du Brésil sont habillés par les Anglais. »

« Ah ben coudon… je t’dis que ouin hein… Asteur va falloir seurprendre pour devenir maître de l’univers ** », a répondu en chœur le peuple portugais.

Nos amis lusophones, aussi avides de gloire passée que de morue salée, peuvent se consoler en rappelant à leurs voisins européens qu’ils ont vaincu l’Angleterre durant le dernier Euro de football… Pour tout de suite, on va refouler dans notre inconscient le souvenir de la défaite contre la Grèce en finale.

** Traduction libre.

23.4.06

APRÈS DÎNER.

(Buenos Aires, Argentina)

Un premier serveur s’approche quand il remarque le dictionnaire français-espagnol sur la table. Les deux autres se joignent à lui. Pas plus d’une dizaine de clients ont besoin de leurs services. Ils veulent savoir d’où on vient. Le plus vieux, 34-35 ans, me demande s’il existe encore des langues autochtones au Canada. Il a une physionomie semblable à celle des Quechuas ou Aymaras qui habitent les pays andins. Je lui parle du Grand Nord et des territoires inuits. L’intérêt des deux autres s’estompe rapidement. Ils ramassent les assiettes vides et laissent leur collègue discuter avec nous.

« Buenos Aires est une ville très polluée. C’est pas comme au Canada. Ici, il y a encore plein de vieilles autos qui crachent de l’huile et de l’essence mal brûlée. Dans la province où je suis né, l’air est pur. Les montagnes des Andes ne sont pas très loin. Sept millions de personnes dans une ville, c’est rien de bon pour la santé mentale. »

Il se présente : Victor. Comme personne ne fait appel à lui, il profite de l’occasion pour nous parler de son pays.

« Avant 2001, un peso valait la même chose qu’un dollar américain, mais c’était artificiel tout ça. L’Argentine a fait exactement comme le voulaient la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. Le gouvernement a privatisé tout ce qu’il y avait d’entreprises publiques. Qu’est-ce que ça a donné ? Une des pires crises économiques. L’eau des grands lacs dans le sud du pays n’appartient plus aux Argentins. Ce sont des entreprises étrangères qui vont exploiter les réserves d’eau douce. La vie est difficile. »

Il sort un stylo et commence à gribouiller sur une napkin.

« Le salaire mensuel est de 890 pesos*. Pour nourrir ta famille, il faut compter environ 500 pesos par mois. Ajoute à ça un logement qui coûte lui aussi 500 pesos. Pour faire des sous supplémentaires, je tape des travaux pour des collègues avec qui je fais des cours du soir. »

« La vida es muy dificil. »

Son regard ne lâche plus le mien.

« Je suis originaire de Salta dans le nord du pays. Quand mes parents se sont séparés, ils ont tout vendu : la maison, l’auto, le commerce… C’était quelques années avant que je termine l’école secondaire. Il a fallu que je change mes projets : ce n’était plus possible pour moi d’aller à l’université. »

À mesure que Victor raconte son histoire, ses yeux se remplissent d’eau. Il jette des coups d’œil vers les tables où sont les autres clients.

Penses-tu retourner dans ta ville natale ?

« Pas pour tout de suite. C’est plus facile gagner de l’argent à Buenos Aires. Les enfants sont encore trop jeunes. »

Il fait un autre calcul.

« Six heures de sommeil par nuit. Dix heures au restaurant. Une heure d’autobus. Trois autres heures à étudier l’anglais ou à faire des petits contrats. Ma femme me demande souvent comment je fais. La vie est dure en Argentine. »

Alors qu’il est sur le point de ne plus pouvoir se contenir, Victor me serre la main et souhaite un bon voyage à Geneviève et moi.

Avant d’aller porter un menu au retraité qui vient de s’asseoir, il essuie ses larmes en écrasant son pouce et son index sur les yeux.

Je fais signe au serveur derrière le comptoir.

L’addition, por favor.



*environ 360$ canadiens.

6.4.06

LE TOUR DU MONDE

(Rio de Janeiro)

Toute la famille est là.

Maman installe sa glacière sous les arches de Lapa. Durant la journée, les touristes s’arrêtent devant les arches blanches pour prendre une photo. Cette construction ressemble aux aqueducs romains. Elle a déjà eu cette fonction. Aujourd’hui, il y a un tramway qui circule au sommet.

À côté des arches, la grande place publique sera bientôt remplie. Une étrange force magnétique attire les Cariocas * vers les espaces ouverts. Ou est-ce la peur du vide qui les conduit à faire obstacle au silence ? Chaque vendredi et samedi, ils sont quelques milliers à se rencontrer là-bas. On peut assister à des démonstrations de capoeira ou de percussions afro-brésiliennes.

Maman vend de la bière et de la liqueur. C’est le même prix : deux reais **. Sa fille aînée ramasse les canettes vides éparpillées un peu partout. Elle doit se montrer habile parce que la concurrence est vive. Quand sa mère a besoin de change, elle court en chercher auprès d’un voisin de la favela qui est aussi à Lapa pour vendre du pop-corn ou de la caipirinha.

Le cadet est aussi mis à contribution. Je vais l’appeler Ronaldihno parce que je suis certain qu’il aimerait être comparé au meilleur joueur de foot sur la planète. Sa peau est aussi noire que celle de ses ancêtres africains que les Portugais ont transformés en esclaves. Il a en main une nouvelle boîte de paquets de gomme.

Ses soirées de travail commencent vers 10 heures. Je ne crois pas que son rythme de vie nuise à sa réussite scolaire : Ronaldinho n’a pas encore l’âge d’aller à l’école primaire. Par contre, sa façon de bouger ressemble à celle des adultes qu’il côtoie plus souvent que les enfants de son âge. Il utilise des expressions aussi colorées que celles du vagabond dont les rétines sont fatiguées d’avoir trop vu.

Ronaldinho se faufile parmi les centaines de fêtards qui boivent, discutent et argumentent. Pour attirer leur attention, il s’accroche à leur taille avec sa main libre. S’il veut les regarder dans les yeux, il doit jeter sa tête le plus loin possible vers l’arrière. À chacun, sans jamais négliger personne, il montre sa boîte de carton remplie de Chiclets. Les femmes répondent doucement non en lui caressant les cheveux. Les hommes se contentent d’un signe de tête négatif.

Sans laisser voir ce qu’il peut ressentir, Ronaldinho continue à faire le tour du monde jusqu’à l’aube. La phase du non va durer encore plusieurs années.



* Habitants de Rio de Janeiro.
** Environ un dollar canadien.