17.7.06

BILLET POUR UN LINGUISTE QUI AIME PRENDRE SON PIED DE LA LETTRE.

Message du Ministère de l’éducation, du loisir et des sports (MELS) : Cette activité de stimulation permettra à l’individu en plein développement physique, cognitif et moteur d’approfondir sa connaissance du lexique courant de pays sud-américains qu’il pourrait être appelé à visiter dans le cadre d’un échange interculturel basé sur le respect des différences d’autrui. Conjuguées à ses compétences transversales acquises durant les trois premiers cycles de son éducation primaire, ses habiletés dans la sphère lexico-sémantique augmenteront de manière significative les chances d’établir une communication efficace où l’émetteur et le récepteur partagent le même niveau de compréhension d’un message livré sans distorsion métacommunicationnelle.

ARGENTINE

Che ! : Interjection qui sert à manifester la surprise, la joie, la colère… S’utilise pour marquer la ponctuation dans une conversation.
Ernesto « El Che » Guevara, révolutionnaire cubain d’origine argentine, doit son surnom à une utilisation excessive de cette interjection.

Colabora con el cambio. = Collabore avec le change.
Arrange-toi pour avoir le montant juste sinon tu vas attendre 10 minutes le temps que je fasse changer ton billet de 50 pesos.

Lanús : Département du Grand Buenos Aires. Les habitants sont très fiers de leur équipe de foot. Ce qui nous donne droit à de savoureuses manchettes sportives telles que : « Lanús ne fait qu’une bouchée de Colón. » ou encore « Lanús renvoie son directeur technique. »

Bárbaro = Cool
« Viste Las invasiones bárbaras ? Es bárbaro. » = « As-tu vu Les invasions barbares ? C’est cool. »

Mascota = Animal domestique ; Casa de mascota = Maison de mascottes = Pet shop
C’est toujours amusant de voir une pancarte à l’entrée d’un restaurant : Interdit aux mascottes. Désolé Grosse Douceur. Tu vas m’attendre sur le trottoir.

Coger = Baiser. Les Espagnols utilisent ce verbe dans le sens de prendre : coger el autobús. Ce qui explique sans doute pourquoi les Argentins croient que les Espagnols sont des pervers aux mœurs dégénérées. Synonyme : joder.

Pour voyager à travers l’Argentine, j’utilisais les services de la compagnie d’autobus Cata Internacional… jusqu’à ce que je sache la signification de Cata : « Merci de voyager à bord de Perruche International. » Non, vraiment, ça manque de sérieux.

BRÉSIL

Porra et caralho sont deux mots vulgaires très courants dans le vocabulaire du Carioca. Même si le dictionnaire Larousse traduit « porra » par « mince alors ! », ce terme fait plutôt référence au produit de l’éjaculation. Caralho désigne le membre viril. On utilise ce mot pour exprimer l’intensité ou pour désigner une grande quantité. Quoi de mieux qu’un exemple pour bien comprendre.
« Porra ! Tá chovendo pa caralho. » = « Sperme ! Il mouille en grosse queue. »

Tá ligado ? = Tu me suis-tu ?
À São Paulo, cette expression s’intercale entre chaque phrase pour s’assurer que l’interlocuteur a bien compris.
« Tava em Salvador. Tá ligado ? Encontrei essa mina. Tá ligado ? Fomos a tomar uma cerveja. Tá ligado ? » = « J’étais à Salvador. Tu me suis-tu ? J’ai rencontré une fille. Tu me suis-tu ? On est allé prendre une bière. Tu me suis-tu ? » Fais-toi en pas. Je suis bien ligado.

Alemão = Allemand
Le gringo pourrait croire que les favelas de Rio sont peuplés de teutons. Ce n’est pas le cas. Alemão désigne les ennemis, les trafiquants d’un groupe concurrent.

Bin Laden : Personne qui a une dette de drogue et qui n’est pas en mesure de la payer. Pour acquitter sa dette envers l’organisation, cette personne doit exécuter une mission. Au mois de mai dernier, à São Paulo, une cinquantaine de policiers ont été tués par des Bin Laden. Le Primeiro Comando da Capital protestait contre le transfert de ses chefs dans une prison à sécurité maximale.

Otário : Personne facile à manipuler.

Animal de estimação = Animal domestique

Comer = Manger ; Comer uma mulher = Coucher avec une femme
« Ontem comi uma turista israelense. Hoje tenho dor de barriga. » = « Hier, j’ai mangé une touriste israélienne. Aujourd’hui, j’ai mal au ventre. »


DÉJÀ VU

Feel like I’ve been here before. (Iron Maiden)

Au bureau de l’immigration, calle San Martín, Mendoza. 17 juillet 2006.

« Bonjour ! Je suis en Argentine depuis exactement 90 jours et j’aimerais prolonger mon visa de touriste. »

« Oui. Pas de problèmes. Il faut simplement aller à la banque et payer 100 pesos. Vous aurez droit à 90 jours supplémentaires. »


« 100 pesos… Comme je quitte le pays au mois d’août, il n’y a pas moyen de prolonger pour moins longtemps et payer moins cher? Ma copine est allée au Chili. Quand elle est revenue, elle a eu droit à 90 jours gratos. »

« Effectivement. Vous pouvez aller au Chili. »

« Ouin… mais je vois pas ce que j’irais faire là. »

« Je comprends. Humm… Il est possible aussi de payer l’amende au moment de quitter l’Argentine. C’est 50 pesos. »

« 50 pesos pour chaque jour après la date limite ? »

« Non. 50 pesos au total. »

« Donc, c’est moins cher de ne pas respecter la loi que de suivre la procédure légale. »

« Tout à fait. »

« Vous êtes certain que je peux payer à la douane ? »

« Vous payez 50 pesos d’amende à l’aéroport de Buenos Aires. C’est tout. »

« D’accord. C’est ce que je vais faire. Merci beaucoup. »

« Tout le plaisir est pour moi. »

Dans la file d’attente, en compagnie de la trentaine d’immigrants péruviens et boliviens, je lisais un livre sur l’histoire de l’Argentine. Après sa fondation, Buenos Aires s’est développé beaucoup grâce à la contrebande. C’était plus avantageux que le commerce légal. Je peux comprendre.

À suivre…

7.7.06

« NOUS AVONS PERDU PARCE QUE NOUS N’AVONS PAS GAGNÉ. »

La citation est de l’attaquant brésilien Ronaldo. Il y a de quoi nourrir une famille nombreuse de sémiologues jusqu’au prochain Mondial. Le coach Carlos Alberto Parreira, créateur du style apathique été 2006, devra travailler fort pour dissiper les menaces de renvoi qui planent sur sa tête, tel un chouclaque de Damoclès au-dessus de la fourmi laborieuse.

L’Argentin se demande souvent si « nous avons perdu parce que nous avons gagné. » La réflexion n’a rien à voir avec le football. Il y a 200 ans, la flotte britannique débarquait à Buenos Aires pour mettre la main sur les richesses de ces territoires et gagner le respect du roi. La Couronne n’avait pas accordé un droit officiel à cette mission. C’était les ambitions personnelles qui motivaient le capitaine William Beresford. Grâce à la résistance des criollos **, les envahisseurs ont dû renoncer à leur rêve de conquête.

Et si Buenos Aires avait accueilli les Anglais à bras ouverts ?

Pour plusieurs, l’Argentine serait un pays aussi riche et prospère que les Etats-Unis ou le Canada. L’idée est très commune dans l’imaginaire social. « Nous serions les Australiens de l’Amérique du Sud. » Ces deux peuples ont au moins un point en commun : les Argentins ont massacré autant d’indigènes que les Australiens, sinon plus.

Le Canada, pays situé dans un champ au bout du 8ème rang de l’Histoire contemporaine, dont la neutralité s’apparente à celle du petit joufflu dans la cour d’école qui était l’ami de tout le monde, oui, oui, celui-là avec son t-shirt fluo Ocean Pacific, toujours au bout de la rangée dans les photos de groupe, eh oui ce Canada est un pays modèle pour les Argentins. On louange ses qualités de low-profile bien nanti. La semaine dernière, un journal argentin présentait une photo des membres du G-8. Aux côtés du Russe Vladimir Poutine, il y avait le premier ministre canadien… Peter MacKay.

Le 25 juin 1806 avait lieu l’invasion qui créait un mythe. Deux mois plus tard, le capitaine Beresford était défait par Santiago de Liniers, chef de la résistance. En 1807, depuis le territoire qui est aujourd’hui celui de l’Uruguay, les Anglais ont attaqué Buenos Aires de nouveau. Second échec. La population de Buenos Aires a puisé dans cet épisode la détermination qui alimenterait la Révolution de 1810, dont la principale conclusion a été l’indépendance du pays.

Pour les Anglais, ces défaites militaires renforçaient l’idée que la domination devait s’exercer par la force du capital, plutôt que celle des armes. Avant les guerres d’indépendance, l’Angleterre contrôlait déjà la majeure partie du commerce entre l’Espagne et ses colonies. Les révolutions à travers l’Amérique du Sud étaient avant tout une reconnaissance politique d’un état de fait. Le monopole espagnol n’existait plus. Après l’échec de Buenos Aires, les politiques de Londres ont permis aux marchands anglais de s’approprier neuf dixièmes du commerce de l’Amérique latine.

Dimanche 9 juillet, ce sera la finale France-Italie dans le stade de Berlin. Je vais regretter de ne pas être dans un certain café du boulevard Saint-Laurent à engloutir ma ration quotidienne d’espresso doppio. Forza Italia !! En Argentine, les gens vont célébrer le jour de l’Indépendance. À Mendoza et Buenos Aires, l’occasion sera bonne pour discutailler le bout de gras saturé et réécrire l’histoire du pays. L’Argentine du XXIème siècle aurait-elle plus à voir avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande ou bien le pays aurait-il partagé le destin de l’Inde et de l’Afrique du Sud ?

** Les descendants des colonisateurs espagnols.