16.4.07

MAIS QU'ON SOIT COHÉRENT...


Pendant une discussion avec deux collègues journalistes de ma société d'État favorite, j'ai eu droit à la remarque suivante : « C'est parce que les Québécois parlent mal. »


Nous discutions de la qualité du français au Québec et de l'expression « mais que... ». Par exemple, Mais qu'il fasse beau, mais que je sois guéri...


Ce qu'on peut lire dans le Grand Dictionnaire Littré au sujet de cette conjonction :


Étymologie : Wallon, main, mâie, dans le sens de jamais ; Hainaut, mé ; provenç. mais, mai, mas, ma ; cat. may ; esp. et port. mas ; ital. ma et mai ; du lat. magis, qui signifie plus, davantage.


Le patois normand conserve deux anciens emplois de mais : Il n'a mais que dire, il n'a plus rien à dire ; et mais que dans le sens de lorsque : Mais que j'aille chez vous, je vous l'apporterai.


MAIS. 15° Mais que, ancienne conjonction qui est aujourd'hui hors d'usage, et qui signifiait dès que.


Vous pouvez penser comme il fera, mais qu'il soit [dès qu'il sera] doyen des cardinaux, François de Malherbe (1555-1628), Lexique, éd. L. Lalanne.


L'affection avec laquelle j'embrasserai votre affaire, mais que je sache [dès que je saurai] ce que c'est, vous témoignera... François de Malherbe (1555-1628), ib.


Cette conjonction est encore très usitée dans les campagnes normandes.


Fin de la citation.


Elle l'est aussi au Québec. Georges D'Or, chanteur converti en linguiste niveau Bantam CC, aimait la donner comme exemple du mauvais français parlé au Québec, en l'écrivant « mé que ». Selon lui, il n'y a que des analphabètes fonctionnels capables de parler d'aussi mauvaise façon. C'est plutôt un héritage de nos ancêtres de la Normandie.


Comme plusieurs autres termes courants du vocabulaire québécois, nous en connaissons plus ou moins les origines... Notre réflexe habituel : si ça nous semble suspect, ça risque d'être un québécisme, donc un mot que la Francophonie, pas mal plus bavarde que Dieu dans un film de Bergman, risque de ne pas comprendre. Ce qui pourrait faire en sorte que la Francophonie soit fâchée fâchée et décide tout de go de couper les ponts avec Montréal, ce qui ralentirait encore plus la circulation vers l'île et nous ferait sentir d'autant plus toutit toutit au coeur de cet océan anglophone dans lequel on ne fait les séries qu'une année sur trois pour être éliminé en six. Imaginez le désarroi des Québécois. Une séparation brutale de nos jours, on soigne ça avec des antidépresseurs et des anxiolytiques, vous imaginez les files d'attente chez Jean-Coutu et la pression sur un système d'assurance-médicaments déjà fragile qu'on voudrait voir disparaître mais qu'on n'est pas certain parce qu'on aime ça les pilules pas chères. Bref, vaut mieux ne pas contrarier la Francoco sinon c'est le chaos social.


Je ne crois pas que nous oserions écrire un jour « mais que », tellement nous sommes convaincus de souiller la langue, mais serait-ce au moins possible d'en enseigner les origines ?


La génération suivante ferait un pas de plus pour liquider notre éternelle litanie : « J'te dis qu'on sait pas parler français au Québec. »

1 commentaires:

À 2:12 a.m. , Anonymous Anonyme a dit...

T'as de la suite dans les idées, mon ami!

Pour le bénéfice de tous, et afin de prouver que ton combat pour la réhabilitation du «mais que» ne date pas d'hier, voici un extrait d'un article du Soleil du 4 octobre 2003 intitulé «Les ados parlent-ils français ?»

La journaliste Marie Caouette y a interrogé un certain...Dominic Turgeon, romancier et psychologue.

À la r'voyure! :)

Val

(...)

Les nouveaux mots et usages créés au Québec trouvent toutefois difficilement place dans les Larousse et les Robert, contrairement à l'argot français. Ce qui amène bien des puristes d'ici à les déclarer, erronément, fautifs. Un réflexe quasi colonial, s'insurge le romancier et psychologue Dominic Turgeon. En plus de leurs dictionnaires made in France, dit le jeune auteur de 28 ans, les Québécois devraient garnir leur bibliothèque d'au moins un ouvrage qui repertorie les mots qui nous sont propres.

"Il y a quelque chose de légitime pour un peuple qui ne représente qu'un % de la population de l'Amérique de vouloir se rattacher à un ensemble plus grand, mais cela ne devrait pas se faire au détriment de notre parler." Il n'y a qu'ici, dit-il par exemple, qu'on pouvait multiplier les mots (dont "frette") pour nommer les différents degrés de temps froid qu'apporte l'hiver. Mais les Québécois refusent d'assumer leur rapport particulier au français, selon Turgeon.

Au terme de voyages au cours desquels il a appris l'espagnol et le portugais, cet ancien étudiant du Petit Séminaire de Québec a constaté que les hispanophones d'Amérique du Sud sont moins complexés vis-à-vis leur mère-patrie. Les Argentins qui ont l'égo très développé, raconte-t-il en entrevue, se vantent même de leurs particularismes. "Ici, c'est le contraire. On a honte de nos québécismes et de notre prononciation alors que notre langue évolue selon nos réalités, sur un fondement de vieux français qui survécu ici, mais disparu en Europe". Il cite le cas de l'expression "mès que" originaire du Nord de la France qui n'est plus usité en français moderne, mais qui est demeuré relativement courante au Québec. "On tend à occulter ces expressions qu'on considère fautives." Cet amoureux de la langue française ne voit pas de problème non plus à adopter certains anglicismes courants qui n'appauvrissent pas la langue mais l'enrichissent, au contraire.

À l'encontre de nombreux "littéraires" québécois, inquiets pour l'avenir du français, le jeune romancier partage plutôt le point de vue des linguistes et ne considère pas que le français est en danger.

(...)

 

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